Ne reste pas trop longtemps dehors. Couvre-toi plus ou tu tomberas malade. Tiens-toi à la rampe lorsque tu descends dans les escaliers. Ne cours pas. Voilà le genre de paroles que mes parents me répétaient sans cesse. Non pas parce qu'ils voulaient que je devienne une parfaite demoiselle, mais parce qu'ils avaient peur de me perdre. Je savais que c'était cela, ma mère m'en avait parlé, une fois et une seule, comme si le fait de simplement se remémorer cet événement était trop dur à supporter. J'avais failli mourir à ma naissance. Comme tant de nourrissons ai-je envie d'ajouter. Mais par je ne sais pas quel miracle, j'ai survécu.
Mes parents me couvaient, littéralement. Je sentais toujours sur ma nuque un regard. Que ce soit celui de mes géniteurs lorsqu'ils étaient ou ceux des serviteurs. Est-ce que cela me dérangeait ? Pas vraiment. J'étais plutôt une enfant sage, peu aventureuse. Je sortais peu dehors, par peur de salir mes beaux vêtements -ma mère n'aurait jamais osé me faire la moindre réflexion, même si le mécontentement se lisait dans son regard-. Par contre, si ma sœur Gloënia osait faire quoi que ce soit, elle était aussi rappelée à l'ordre. C'était sans doute cela, le lot réservé aux aînés. Ils se devaient d'être parfaits, encore plus que les cadets qui eux pouvaient se permettre d'avoir des défauts. Ou qui faisaient tout pour les effacer et surpasser leurs aînés.
Je n'ai jamais désiré surpassé ma sœur. Nous étions aussi différentes moralement que le jour et la nuit. Elle préférait s'isoler dans la roseraie, un livre posé sur les genoux, dévorant les mots, les phrases. Parfois je l'observais, tourner ces pages avec excitation, avidité. Lorsque je lui demandais ce qu'elle pouvait bien trouver à la lecture, elle me raconta une histoire, me transporta dans un autre monde.
Je me souviens d'elle. De ses cheveux pâles, blonds, comme les miens, mais clairs, presque blanc, comme les rayons de la lune, alors que les miens sont aussi blonds que les blés, ou je préfère, aussi blonds que l'or. Ses yeux étaient gris, terne, sans vie. Parfois son visage charmant s'animait, surtout lorsqu'elle lisait, enfermée dans un monde connu d'elle seule.
Notre père nous comparait souvent, moi à une magnifique peinture, colorée et vivante et ma sœur à un pastel, un peu triste, mais plein de délicatesse.
Mon père m'adorait, tout comme ma mère, et je ne me souviens pas avoir manquer quoi que ce soit. Tout ce que je voulais, je l'avais. Bien sûr, ma mère m'appris qu'il n'était pas bien d'être capricieuse, non seulement ce n'était pas un bon comportement à avoir, mais cela pourrait me jouer des tours plus tard.
Plus tard. Lorsque je serais l'épouse d'Aragon. Avais-je envie d'être son épouse ? A ce garçon dont on me parlait tant mais que je n'avais jamais vu ? La question ne se posait même pas, je ne pouvais y répondre. Envie ou pas, je serais son épouse parce que c'était ainsi, décidé depuis ma plus tendre enfance. C'était important, pour sceller l'alliance entre deux familles.
Ainsi je me contentais simplement de demander ce que je voulais avec un joli sourire -il fallait sourire, ma mère me l'avait appris, car jamais un homme ne voudrait à ses côtés d'une femme triste-. Et pourtant, malgré tous les sourires et les rires que je pouvais distribuer, étais-je vraiment heureuse ? A cette question je peux répondre : non.
Il a toujours manqué quelque chose à mon existence, quelque chose d'encore indéterminé qu'enfant, je ne pouvais pas trouver.
Un jour ma mère vint m'annoncer qu'une fête était donnée, et que mon futur fiancé s'y trouverait, ainsi que sa famille. Elle venait pour me dire de me comporter parfaitement bien, comme on me l'avait enseignée. J'étais jeune, mais pas facilement intimidable. J'adorais les fêtes, le faste, la richesse, surtout si c'était une fête où j'avais une place importante, et ma mère me le confirma. On venait pour m'observer, voir si je convenais au rôle qu'on me destinait. Celui d'épouse, de mère. Une partie de moi ne comprenait pas vraiment pourquoi j'étais celle qui avait été choisie alors que Gloënia était l'aînée. Mais je ne me posais pas vraiment cette question, c'était tout au plus une réflexion qui revenait souvent.
Et c'est là que je le vis pour la première fois. Mon cœur d'enfant palpita, j'étais toute intimidée. Je ne pouvais m'empêcher de lui jeter des regards furtifs. Lorsqu'il s'approcha de moi pour me parler, je devins muette avant de me mettre à répondre à ses questions. Je ne voulais pas qu'il ait de moi une mauvaise impression. Son père vint nous séparer. Une séparation que je trouvais brutale et qui me mit presque les larmes aux yeux. Ma mère vint alors et m'amena auprès d'Aragon, mon fiancé, afin que je fasse plus ample connaissance avec lui au lui de rester avec mon futur
beau-frère, Phillip. Mais je n'avais nulle envie de faire plus ample connaissance avec Aragon. Comment dire ? Ce n'était pas qu'il ne m'intéressait pas -même si effectivement il ne m'intéressait pas-, je ne trouvais rien à lui dire, aucun point commun.
Je dus pourtant composer car ce fut à partir de cette soirée que mes parents, et ceux de mon fiancé, décidèrent de se voir un peu plus souvent. Ce qui n'était évidemment pas pour me plaire. En bonne fille je me contentais néanmoins de me taire et d'obéir aux ordres de mes parents. Pour une fois. Sur ce sujet-là, je savais que je n'obtiendrai jamais gain de cause. J'avais beau pleurer, tempêter, j'allais toujours le rencontrer, et toujours, je m'ennuyai, ne ressentais absolument. J'essayais de m'intéresser à lui, vraiment, je savais que je me devais de me faire des efforts, mais ces efforts ne portèrent jamais leurs fruits. Je préférai largement la compagnie de Phillip, bien plus agréable, d'autant plus que je savais qu'il m'évitait, s'éloigner. L'approcher n'en était que plus excitant.
Certes il y avait la question de ma réputation. C'était là un point qui ne me préoccupait guère. A vrai dire j'étais tellement aveuglée que je n'avais pas conscience du danger que cela pouvait apporter. Comment aurais-je pu ? Moi qui avait toujours été couvée, protégée. Un beau jour la nouvelle parvint à Thornvall qu'Aragon s'en allait. Pour quoi faire, je n'en savais absolument rien. La seule chose qui était certaine c'est que j'aurais le champs libre pour agir, et Phillip pour moi seule. Il ne pourrait pas tenter de me pousser entre les bras d'Aragon puisqu'il ne serait pas là. Ainsi j'écrivis une fausse lettre -mon premier mensonge- et je la tendis à mes parents, en disant que la mère de mon fiancé souhaitait m'avoir auprès d'elle quelques jours, puisque le mariage approchait à grand-pas. Je me rendis sans attendre à FortRoyal où je n'étais absolument pas attendue. Je prétextais une envie d'en savoir plus sur la famille pour m'imposer et on me proposa de rester quelques jours. C'était la moindre des politesses, après tout j'étais une princesse, pas une vulgaire servante, je ne pouvais me permettre de me fatiguer à trop voyager sur les routes poussiéreuses.
Comme Phillip ne semblait guère prêter attention à moi, je décidais de visiter. En commençant par le jardin. Si Gloënia avait été là, avec moi, elle aurait commencé par cet endroit, même si il n'y avait aucune rose et que le jardin restait plat. A Kinghill, la roseraie atteignait des mètres de hauteurs, ce qui était fort joli, et fort pratique pour se cacher.
Ce fut là qu'il m'embrassa, ou que je l'embrassais. Je ne sais plus. Je pense que j'aurais été capable d'une telle audace par amour. Amour. Le mot qu'il me manquait, ce vide qui me rendait triste. Mais je ne fus pas plus heureuse pour autant, une fois ces sentiments révélés, avoués. J'étais toujours fiancé à un autre. A son propre frère qui plus est.
Chaque jour je recherchais la compagnie de Phillip, sans nulle honte, j'étais jeune, naïve, si pleine d'espoir et de joie que je ne parvenais pas à contenir. Ce fut finalement lui qui pris les devants et annonça la nouvelle à ses parents. La nouvelle que c'était lui qui serait mon époux, et non pas Aragon. Je savais qu'il avait honte de le faire en l'absence de son frère, mais honnêtement, cela n'était qu'un détail sans importance. Aragon n'était rien pour moi.
Si j'avais pu épouser Phillip sur-le-champ, je l'aurais fait. J'étais prête. Mais je dus attendre. Il voulait faire quelque chose avant de rentrer dans l'âge adulte, avant de m'épouser. Je le laissais faire, aurais-je pu de toute façon le retenir ? Je ne sais pas, je ne pense pas.
L'attente fut longue, pas interminable mais longue. Et je me contentais de vivre au rythme des lettres qu'il m'envoyait. J'essayais tant bien que mal de ne pas prêter attention à toutes les rumeurs qui pouvaient courir, mais en vain, certaines m'atteignaient forcément.
Ma mère me jetait toujours des regards déçus. Un cadet. J'allais épouser un cadet. Mon père lui se contentait de hausser les épaules. Quand à Gloënia, elle ne me parlait même plus, se réfugiant dans la lecture. Et pourtant, j'étais si heureuse au fond que je me fichais de ce que ma famille pouvait bien penser, je me fichais du monde entier puisque tout ne se résumait qu'à lui.
J'avais toujours été assez indépendante, pour ne pas dire la vérité : égoïste, et pour une fois, je pensais à un autre être qu'à moi. Cela changeait, faisait un peu mal, c'était étrange. Surtout qu'il était si loin de moi. Pour la première fois de ma vie je commençais à comprendre ce que ressentais les femmes, obligées de voir leurs époux partir en guerre, avec l'incertitude de leur retour. C'était pareil, même si il n'était pas parti en guerre. J'ignorais à cette époque que je ressentirais toujours au fond de moi cette inquiétude et cette incertitude permanente.
Mon souhait de le voir revenir fut exaucé lorsqu'un jour les clameurs retentirent à Kingshill. Le tueur de dragon était là. Le tueur de dragon était Phillip qui a sauvé ma contrée des flammes mortelles du dernier des dragons. Il revint, couvert d'or et de richesse. Entier, quoi qu'un peu mal en point. Changé. Ce n'était plus le même, c'était un homme. Un homme dont on reconnaissait le nom, un homme puissant et riche. Il n'était plus le cadet de Sandcliffs. Mes parents furent soudain beaucoup plus gentils à son égard, et également au mien. Je ne fus plus ignorée désormais que de ma sœur, sans que je sache bien pourquoi, mais à vrai dire, elle n'occupait absolument pas mes pensées. La pensée qu'elle puisse être jalouse ne me traversa à vrai dire jamais l'esprit tant j'étais persuadée que la seule chose qui l'intéressait était ses livres, son monde à elle.
Mon cœur sembla exploser lorsque je le vis revenir. Trop de temps s'était écoulé depuis son départ. Des minutes, des heures, des jours passés sans lui. Tant de temps à rattraper. Mais rien ne pressait, nous avions la vie devant nous, une longue vie qui s'annonçait sous les meilleurs auspices.
Phillip était revenu de son voyage profondément changé. La tête pleine d'idée qui l'éloignait un peu plus de son frère. Je comprenais que pour Aragon je ne représentais simplement que des terres, et un ventre. Mes yeux aveugles s'ouvraient un peu plus sur le monde qui m'entourait, un monde que je n'appréciais pas. Je préférais nettement rester cloîtrer dans mon château, à l'abri de tout. Là où rien ne pourrait m'arriver.
Le destin en voulut autrement. Phillip, habilement, parvint à se faire reconnaître des autres seigneurs. Il devint Empereur. Ce qui fit de moi une Impératrice. L'Impératrice. J'étais plus qu'une Reine. J'étais l'épouse de l'un des hommes les plus puissants. N'était-ce pas là ce que toute femme souhaitait ?
Je ne me refusais rien, estimant qu'il était de mon devoir de tenir mon rang, quitte à dépenser sans compter. Peu importait les remarques qu'on pouvait bien faire. Quel était l'intérêt d'être Impératrice si ce n'était pas pour en profiter ? Et à vrai dire, à cette époque, je n'avais aucune connaissance du monde de dehors, de la vie dure que menait certains. J'avais toujours été bien protégée, une jeune fille de bonne naissance ne devait pas avoir connaissance du malheur des autres.
J'étais plus puissante que tout le reste du commun des mortels, et cette puissance m'enivrait, m'aveuglait aussi. Phillip était beaucoup plus sage que moi, heureusement, et de toute façon, c'était à lui que je devais tout. Il ne me reprocha jamais rien, se contentant de faire quelques remarques. Que connaissait-il aux femmes de toute façon ? Néanmoins je me repris en main lorsque les commentaires se firent trop acerbes et me comportait comme la plus parfaite des maîtresses de maison. Mais rien n'effaçait les commentaires qui allaient bon train en dehors des murs du château.
C'est à ce moment là que je découvris que j'attendais un enfant. Une situation qui me rendit extrêmement heureuse, ainsi que Phillip évidemment. Nous allions avoir un enfant, un héritier. Si d'un côté je me disais que faire des enfants était mon rôle, je me disais de l'autre, que cet enfant était né d'un amour véritable et que c'était le plus beau cadeau que l'on puisse avoir.
A l'annonce de cette nouvelle, les problèmes que Phillip rencontrait avec son frère s'estompèrent dans ma mémoire, je ne m'occupais plus que de mon enfant à venir, et donc de moi. Exclusivement de moi. J'avoue à ma plus grande honte que je me mis de nouveau à dépenser sans compter, mais pour l'enfant, pas pour moi, je voulais qu'il ait les meilleurs jouets, le plus beau lit, qu'il soit vêtu des étoffes les plus fines et les plus douces.
Aragon avait beau être réussi à avoir un royaume et une Reine que l'on disait être la plus belle des femmes, j'avais mis au monde un enfant. Contrairement à lui. Un enfant. Une merveilleuse petite fille qui fit le bonheur de tous. Une fille au duvet blond, qui me ressemblerait, du moins je l'espérais. Passée les douleurs de l'accouchement je n'étais que joie et bonheur à l'idée que ce petit être était de moi. Que j'avais crée quelque chose de beau et de bien. J'étais heureuse, mais également terrifiée. Je savais à quel point la vie pouvait être fragile, surtout celle d'un enfant puisque j'avais failli mourir à ma naissance. Mais ma petite Ariana était en parfaite santé, en pleine forme.
La vie passe si vite lorsqu'on y réfléchit bien. Hier j'étais une enfant, et aujourd'hui je suis une femme. Transmettre à Ariana tout ce que je savais fut difficile, notamment parce que je n'étais pas prête à transmettre quoi que ce soit. La maternité avait beau avoir adouci mon caractère, je savais qu'au fond, je n'étais qu'une grande enfant gâtée, on m'avait donné tout ce que j'avais toujours voulu, et je savais une chose : je ne voulais pas qu'Ariana soit comme moi. Je voulais qu'elle soit comme son père, attentive, sage, courageuse, qu'elle se batte pour avoir ce qu'elle voulait. Et non pas qu'elle ouvre la bouche et obtienne tout ce qu'elle désire.
Ariana était une enfant facile, curieuse, attentionnée. Avant je vivais pour Phillip, désormais je vivais pour elle. J'ai toujours cru que l'amour que je portais à mon mari était indestructible, plus fort que tout, j'avais tort. L'amour que je porte à la chair de ma chair, au sang de mon sang est bien plus fort encore que l'amour que j'ai pour Phillip. Je mourrais pour Ariana, sans la moindre hésitation, et je condamnerai mon mari si cela pouvait la sauver elle.
Être mère, le plus grand défi d'une vie. C'est réellement terrifiant. Pourtant, comment être effrayée alors que j'étais sans cesse entourée de servantes, de nourrices, de gouvernantes qui savaient exactement quoi faire ? Les cinq années passées avec elle furent magnifiques, et passèrent si vite. Un matin c'était un poupon, l'autre une fillette courant partout.
Et puis un jour, tout fut terminé.
Ce fut instinctif. Je sentais au plus profond de moi que quelque chose n'allait pas. Quelque chose clochait, mais quoi? Je ne parvenais pas à mettre la main sur le malaise qui peu à peu m'habitait. Plus les jours passaient et plus l'angoisse me rongeait. Un mal invisible m'avait atteint, sans que je sache quoi. Ma mère me fit remarquer que c'était sans doute du à mon humeur, j'avais toujours été ainsi, triste un moment et puis enjouée à un autre. Mais je savais que ce n'était pas cela. Je suggérais à Phillip d'envoyer Aurora loin, enfin, tout est relatif. A Sandcliffs chez son oncle. Ni lui ni moi ne voulions nous séparer d'elle. Quels parents acceptent de voir partir leur enfant sans rechigner? Mais elle partit tout de même et je tentais de me convaincre que cela ne pouvait que lui être bénéfique.
C'est alors que ma vie s'arrêta. Fut stoppée par un sort lancé par Maleficent qui plongea la cour dans un profond sommeil. La dernière chose dont je me souvins fut que je marchais dans la grande salle, pour rejoindre mon trône, et puis rien. Le noir et le froid.