« C’est de la folie ! » Elle jette un regard agacée à la rouquine à ses côtés qui, depuis qu’elle avait pris sa décision, n’avait eu de cesse de tenter de la dissuader. En vain. Sa décision était prise depuis longtemps.  Les yeux vissés vers sa destination, Talya ne changerait pas d’avis. L’ancre avait été jetée au large des côtes de Sandcliff, là où il était impossible pour les marins d’Eric de les repérer. L’horizon leur offrait un abri naturel que la jeune capitaine avait appris à dompter. « Laisse-moi au moins venir avec toi. » Elle soupira et posa une main bienveillante sur l’épaule de son quartier-maître. « J’ai besoin de toi ici. » Elle avait choisi deux marins, grands gaillards qui se fonderaient dans la masse des marchands et assuraient sa sécurité en cas de besoin. La chaloupe prête, il était temps de quitter le navire. Le jour n’était pas encore levée, le soleil pointait timidement ses rayons vers la terre. « Si nous ne sommes pas revenu à la nuit tombée, partez. » Son ordre était sans appel et personne sur le pont ne broncha, pas même Gretel. Talya prit sa place dans la chaloupe qu’on fit descendre lentement. Les vagues léchèrent la coque fragile et on commence à pagayer vers le rivage. Le point du jour leur offrait une maigre cachette. En accostant du côté du port marchand, Talya était certaine de passer inaperçue tant l’heure était matinale. Il n’y aurait guère personne pour leur prêter attention, tout au plus quelques soulards et des pêcheurs matinaux qui n’avaient que faire d’étrangers. Sa capuche noir relevée sur son visage, on distinguait à peine son visage. Précaution indispensable lorsque, comme elle, on était recherché par la moitié de Sandcliff. Ils accostèrent enfin et elle quitta sans attendre la chaloupe, lançant un bref regard à ses camarades qui la suivirent sans broncher. Ses pas assurés la menèrent jusqu’à une petite taverne miteuse où quelques marins dormaient sur les tables. Elle alla s’asseoir dans le fond, laissant ses deux hommes se postaient de l’autre côté de la salle. Le tavernier, un type peu recommandable, les observa un moment avant de prendre leur commande. « Rhum. » Il grogna, lui apporta un verre et la servit sans un mot. Il allait repartir lorsqu’elle l’arrêta d’un ton sec. « Laissez la bouteille. » Un nouveau grognement bestial s’échappa de sa bouche tandis qu’il posait la bouteille sur sa petite table ronde. Il reparti derrière son bar, non sans oublier de donner un bon coup de pieds dans un des marins qui, endormi, prenaient un peu trop ses aises. Dehors, le port s’éveillait. Dans l’ombre, Talya observait les lieux déserts, encore endormis. Le doute s’insinuait dans son esprit. Peut-être avait-elle fait une erreur après tout. Elle avait succombé aux rumeurs, à l’envie irrépressible de voir par elle-même. Elle devait en être sûre, en juger de ses propres yeux. Elle refusait encore d’y croire alors que de nombreuses histoires circulées parmi les divers équipages et à Turtleroc. On ne parlait plus que de ça ce qui l’avait poussé à ne pas revenir vers l’île et à voguer toujours plus loin. Elle ne supportait plus de vivre dans ce flou. Assise dans son coin, un verre de rhum plein devant elle, Talya attendait. Et lorsqu’enfin la porte s’ouvrit, son cœur cessa de battre.